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19/08/2015

Crise du porc : "abaisser les normes environnementales" ?

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...alors qu'elles sont (déjà) bafouées massivement :


 

L'économiste Philippe Chalmin est membre du cercle des notables catholiques restés chantres du libéralisme. En foi de quoi, au mois de juin, il déclarait « gênante » l'encyclique Laudato Si' parce qu'elle prône la décroissance des pays riches....

Il fait connaître (Figaro du 11/08) son avis sur la crise du porc breton. Pour M. Chalmin, il y a trois remèdes :

1. « bénéficier d'économies d'échelle sur les coûts de production »  (aligner le secteur sur la norme allemande : fermes-usines géantes à l'américaine) ;

2. cesser d'appliquer les normes environnementales « de manière tatillonne » ;

3. « ne pas occulter la question de l'appel à une main-d'oeuvre intérimaire polonaise moins chère, argument loin d'être négligeable : les études économiques montrent que cela représente une économie de 10 centimes sur le kilo de porc. »

 

Que l'on puisse tenir ce genre de propos est déconcertant au vu des réalités concrètes :

les fermes-usines géantes sont une monstruosité, à la fois en soi (pour la condition animale) et sur le plan économique (surproduction) ;

non seulement l'administration française n'applique pas les normes environnementales* « de façon tatillonne », mais tout le monde connaît la complaisance imposée aux préfets envers les éleveurs industriels ;

l'argument de la « main d'oeuvre polonaise » devrait pousser les salariés bretons à s'interroger.

Constatons enfin que M. Chalmin se déclare hostile aux « circuits courts », parce que ceux-ci ne permettent pas d'écouler la surproduction des élevages industriels.

On comprend qu'il trouve l'encyclique gênante !

Voilà un notable catholique français qui ne semble pas prêt pour la « révolution culturelle courageuse » du pape François.

 

_______________

* A propos des normes environnementales, relisons cet article du Point (30/10/2013) :

<< ...En 1950, la Bretagne représentait seulement 8 % de la production nationale de porcs, contre 58 % aujourd'hui. Et la région compte désormais cinq cochons par habitant.

Jamais les écosystèmes n'ont été aussi malmenés

Au-delà de son indéniable succès comptable, le modèle agricole breton a aussi été un modèle de destruction environnementale. Pudiquement, les économistes parlent d'"externalités négatives" provoquées par l'élevage intensif hors sol, depuis quarante ans, de centaines de millions de cochons. À travers l'épandage des lisiers et l'utilisation massive d'engrais et de pesticides pour la culture du maïs, la filière porcine a abondamment et méthodiquement pollué les rivières et les nappes phréatiques d'une Bretagne où, comme chacun sait, l'eau ne manque pas.

La concentration en nitrates des cours d'eau y est passée de 5 mg par litre en 1971 à 50 mg en 1999. Et si elle a depuis légèrement baissé, elle reste, avec 40 mg par litre, très largement au-dessus de la moyenne nationale (23 mg par litre) et des niveaux jugés acceptables. Double conséquence : la détérioration de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine et la dégradation des milieux aquatiques, reflétée aussi bien par l'apparition sur le littoral des fameuses algues vertes que par le déclin spectaculaire des populations de poissons sauvages. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dès 1969, c'est une association de pêcheurs (l'Association pour la protection et la promotion du saumon de Bretagne, devenue plus tard la combative Eau et rivières de Bretagne) qui, la première, avait dénoncé la pollution engendrée par l'élevage intensif du porc.

Comme le constate amèrement Pierre Phélipot dans le très beau livre qu'il vient de publier, Le saumon au fil des saisons, "jamais les écosystèmes et la diversité biologique n'ont été aussi malmenés, en dépit des engagements des gouvernements et des collectivités locales". On peut même dire que ce crime écologique d'une ampleur sans précédent en France a été commis et continue de l'être avec la complicité active des élus régionaux et des ministres de l'Agriculture successifs, sous l'emprise d'un lobby agroalimentaire dégainant à tout instant le chantage à l'emploi et la menace d'une révolte paysanne pour justifier le non-respect des normes environnementales. D'où les passe-droits administratifs, la proportion élevée de porcheries en situation irrégulière (45 % en 1999) et l'absence de sanctions pour les élevages pollueurs.

Une fuite en avant écologiquement désastreuse

"L'inapplication de la réglementation appelle un jugement sévère", constatait en 2004 la Cour des comptes dans un rapport consacré à la préservation de la ressource en eau face aux pollutions d'origine agricole en Bretagne. Tout récemment, en juin 2013, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par la Commission, a fini par condamner la France pour manquement au respect de la directive nitrates de 1991 !

La réponse du gouvernement de M. Ayrault à cette condamnation a pris la forme d'un bras d'honneur : il a décidé cet été de relever de 450 à 2 000 animaux le seuil à partir duquel l'extension d'une porcherie nécessite une autorisation administrative et une étude d'impact sur l'environnement.

[…] La fuite en avant choisie au contraire par la France n'est pas seulement écologiquement désastreuse, elle risque aussi de se révéler financièrement très coûteuse : traitement de l'eau pour la rendre potable, ramassage des algues vertes, procès d'associations de consommateurs et amendes infligées par Bruxelles. Elle est enfin économiquement absurde : soutenir aujourd'hui la filière porcine bretonne sans exiger d'elle en contrepartie qu'elle respecte enfin les lois environnementales, c'est mettre en péril demain l'activité tout aussi essentielle pour la région que représente le tourisme. Qui aura envie de se baigner au milieu des algues vertes ? Non, tout n'est pas bon dans le cochon. >> 

 

 

Commentaires

CONVERSION

> Philippe Chalmin, l'ambassadeur de la droite conservatrice américaine en France.
Il est catholique donc potentiellement sensible à une éventuelle conversion à la parole du pape François afin qu'il s'aperçoive que la décroissance n'est pas si dangereuse que ça !
_____

Écrit par : Arnaud Le Bour / | 19/08/2015

ACCÉLÉRER

> Les propos de M. Chalmin semblent illustrer une attitude malheureusement répandue : lorsqu'un modèle (ici économique et écologique) s'avère être une impasse, certains ne trouvent comme solution que d'accélérer. Pour ne pas céder à l'exaspération devant de tels comportements, disons que c'est un phénomène curieux à observer.
A propos de la gêne de M. Chalmin au sujet de l'encyclique "Laudato Si'" : il n'est pas en soi illégitime de se sentir "gêné". Encore faut-il savoir si cette gêne peut être féconde (c'est-à-dire suscitant l'amorce d'une conversion par un questionnement sur soi) ou stérile (c'est-à-dire suscitant l'hostilité de principe par refus de ce questionnement).

SL


[ PP à SL - Le vertige d'accélération est dénoncé par l'encyclique (§ 17) sous le nom hispanique de "rapidacion". Il est analysé par Hartmut Rosa (université d'Iéna) dans 'Aliénation et accélération - Vers une théorie critique de la modernité tardive' (La Découverte-Poche, 2014). ]

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Écrit par : sven laval / | 19/08/2015

CHERCHEZ L'ERREUR

> Voici qui donne envie d'être cruel. Dans ces cas-là, il ne faut pas résister.
Selon le modèle mental standard, Philippe Chalmin 1)- a raison 2)- est un bon catholique.
1)- il a raison. C'est une constante que le prix soit un critère capital dans les décision des différents acteurs économiques, au moins pour les denrées ou produits de base (hors labels genre bio, origine, plein air etc) c'est déjà vrai pour les particuliers, alors pour les acheteurs des centrales de distribution, on imagine. Comme nous sommes dans un marché ouvert, on ne voit pas pourquoi les industriels de la viande achèteraient plus cher en Bretagne qu'en Allemagne, donc ils n'achèteront pas tant que les coûts vétérinaires, environnementaux et sociaux français ne seront pas calés vers le bas. Point, c'est tout.
2)- Il reste dans la perspective d'un espace vaste, européen et ouvert sur le monde. Il n'est donc pas envisagé ni envisageable pour lui d'établir des protections douanières qui éviteraient ce calage vers le bas. En y restant, il rejette certainement le "repli identitaire et populiste" que déteste la majorité du milieu pensant et dirigeant de " l'Eglise qui est en France" comme on dit. Chalmin est en phase avec de nombreuses prises de position de nos évêques. C'est un bon catholique.
Cherchez l'erreur.

PH


[ PP à PH - S'ils méditent l'encyclique et le discours de Santa-Cruz, les "bons catholiques" de l'Hexagone devraient prendre conscience de l'urgence d'une... conversion écologique, comme dit le pape. ]

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Écrit par : Pierre Huet / | 19/08/2015

LA J.A.C.

> D'accord avec vous Patrice mais en ajoutant un historique. Le modèle agricole breton est issu d'un accord entre les gouvernements gaullistes et le syndicalisme paysan ayant pour but de promouvoir des exploitations familiales dans les villages. La vision sous jacente était bien de conserver l'emploi local et de lutter contre l'exode rural - et d'assurer un vote centriste. Cette vision corporatiste, régionaliste et ruraliste était activement appuyée par l'Eglise à l'époque.

Roger

[ PP à Roger
- Presque d'accord avec vous sur ce point :
- d'accord sur le rôle de l'Eglise, ou plus exactement de la JAC, mouvement alors dominant dans la paysannerie ;
- mais pas tout à fait d'accord sur l'objectif de "conserver l'emploi local". Derrière l'écran des mots, l'état-major de la JAC programmait : la diminution drastique du nombre d'exploitations familiales, donc un exode rural voué à devenir hémorragie ; et le passage à l'agro-industriel ("remembrement", engrenage des concentrations foncières, brutalisation de l'environnement)...
- Puis il y eut les fausses promesses de la mondialisation ultralibérale.
- Résultat : au lieu de la prospérité mondialisée promise, la catastrophe de notre paysannerie.
- Tout cela fut une colossale erreur de perspective. Un milieu catho français fut vraiment "faux prophète" au sens biblique du terme ! (confondre prophétisme et conformisme intéressé)...
- Dans ce qui reste des milieux paysans catholiques de l'Hexagone, la repentance a eu lieu. Mais tardivement. ]

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Écrit par : Roger / | 20/08/2015

EUS PAR BEULIN

> Les agriculteurs sont en train de se faire avoir, leur patron les envoie dans la rue réclamer qu'on assouplisse les normes or à ce jeu là seuls les gros comme Xavier Beulin auront les moyens de rivaliser et de se payer les grosses installations automatisée indispensables pour faire baisser les coûts. A terme l'agriculture sera aux mains des industriels et de la finance, et les agriculteurs ne seront plus que des ouvriers spécialisés.
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Écrit par : DV / | 20/08/2015

@ PP

> Oui, ça viendra, bien que la barque de Pierre ne soit pas manoeuvrable comme une planche à voile mais comme un 4 mât dont l'équipage de fortes têtes ronchonne avant de manoeuvrer.
La conversion écologique viendra, mais le lien avec la question de la mondialisation sera plus lent, on en restera encore longtemps à l'accélération signalée par LS, tant le sujet est sacralisé.
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/08/2015

PAYSANS MANIPULÉS PAR BEULIN

> Vu le plan d'aide du gouvernement qui va pousser à l'automatisation des abattoirs et au regroupement d'exploitation, entendu les propos de X. Beulin qui appelle à "restructurer" les aides, expression curieusement floue ; et comme dit la grand-mère de Martine Aubry "quand c'est flou il y a un loup" : il n'y aura pas assez d'aide pour tout le monde, elles iront en priorité vers les agriculteurs high-tech engagés dans l'hyper-industrialisation de l'agriculture très certainement !
C'est à n'y rien comprendre car on bave d'envie devant la réputation de qualité des produits allemands et quand nous pourrions miser sur la qualité des produits en misant sur le bio nous ne le faisons pas (cette filière a au moins le mérite de ne pas entraîner de surproduction et d'échapper à la pression mortifère de l'automatisation).
Finalement cette crise aura permis aux partisans de la ferme des milles vaches de faire avancer leurs pions, cela confirme la puissance de la stratégie du chaos dont Naomi Klein parle ; ce que je trouve terrible c'est que les agriculteurs qui se sont battus de bonne foi et au comble du désespoir viennent de contribuer eux-mêmes sans le savoir à signer l'arrêt de mort de leurs exploitations agricoles, manipulés par leur président, je trouve cela terrible et j'ai une immense tristesse pour eux et suis terrifié d'autant de noirceur et de cynisme des grands de la FNSEA.
Paupérisation de nos agriculteurs, paupérisation des paysans du sud vers lesquels une partie de la surproduction sera écoulée, une grande machinerie sans âme s'accélère.
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Écrit par : DV / | 23/08/2015

QUALITÄT ?

> Qualité des produits allemands: un collègue de la filiale allemande de mon employeur, originaire de Heidelberg, me disait que quand les gens veulent de bon produits traditionnels rhénans, ils vont les acheter en Alsace.
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Écrit par : Pierre Huet / | 24/08/2015

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